Espace de libertés – Septembre 2017

Pierre-Stéphane Lebluy est enseignant à Gosselies. Pour la première fois de sa carrière, il va donner un cours de philosophie et citoyenneté (CPC). « Espace de Libertés » le suivra tout au long de l’année pour comprendre les enjeux – théoriques et pratiques – de ce cours; percevoir, au plus proche du terrain, les doutes et les espoirs qu’il suscite. Premier épisode: la préparation estivale.


 

L’été est studieux pour Pierre-Stéphane Lebluy. Dans sa maison hennuyère, le professeur potasse le tout nouveau référentiel du cours de philosophie et citoyenneté (CPC). « J’essaye de conceptualiser les leçons de manière ludique, à partir d’un extrait de film, d’un article, d’une expérience à faire« , explique-t-il en exhibant l’épais document de 66 pages.

La rentrée des classes de septembre approche à grands pas. Elle aura une saveur particulière pour cet enseignant, prof de morale non confessionnelle et… fils de prof de morale. Pour la première fois, il ne donnera pas ce cours qu’il prodigue pourtant depuis une vingtaine d’années. Car Pierre-Stéphane Lebluy a choisi d’enseigner la philosophie et la citoyenneté aux élèves de l’Athénée Les Marlaires, à Gosselies. Il lui faut donc préparer la matière d’arrache-pied. Ce qu’il dit faire « sans trop de problèmes« . Car ce professeur fut l’un des heureux élus à avoir suivi une formation offerte par la Fédération Wallonie-Bruxelles au mois de juin. « Mais nous n’étions que 80« , regrette-t-il. « Ce qui est une goutte d’eau quand on pense au nombre de professeurs qui vont donner le cours de philo et citoyenneté. On peut dire qu’il y a un léger souci de formation. »

Si Pierre-Stéphane Lebluy a troqué le cours de morale contre celui de philosophie et de citoyenneté, c’est avant tout parce que ce dernier lui permettra de « toucher tous les élèves de l’école et plus seulement ceux qui choisissent un cours précis« . Une portée plus universelle, en somme. Toucher largement les élèves de l’Athénée est, selon notre professeur, une formidable opportunité de « donner les outils aux élèves pour qu’ils exercent leur sens critique, qu’ils tentent de jeter sur le monde un regard moins formaté‘. Et il y a urgence, pense-t-il: « Je constate régulièrement parmi les élèves, mais aussi parmi les professeurs, des dérives sectaires et religieuses, qui se sont amplifiées ces dernières années. » Notre professeur mise sur ce nouveau cours pour « poser des questions« , en opposition aux cours de religion qui prétendraient « apporter des réponses« .

Les élèves dans la caverne

Pour Pierre-Stéphane Lebluy, les différences entre le cours de morale et le CPC ne sont pas énormes et ne concernent nullement les enjeux de fond. Elles se résumeraient surtout aux manières de construire une leçon. Il détaille: « Je pouvais préparer mes cours de morale en picorant dans le programme sans avoir vu de manière exhaustive tous les points. Là, tous les modules devront être vus, car les compétences seront évaluées lors d’un examen. » L’un des axes sur lesquels il travaille en ce mois d’août concerne les médias et l’information. Avec en support, ce bon vieux mythe de la caverne de Platon. « Cette allégorie se prête à merveille à l’étude des ’’fake news’’ et de la construction de l’information« , dit-il. La caverne, les élèves du professeur Lebluy, vont s’y retrouver lors d’une petite expérience. Certains d’entre eux seront alignés face à un mur blanc. D’autres, munis d’une lampe, projetteront des ombres sur le mur. Un dernier groupe observera la scène, avec un certain recul. Chaque groupe donnera son avis, son ressenti sur l’expérience. « Le but est de comprendre la manipulation et de transférer cette notion de l’expérience vécue à la compréhension du monde d’aujourd’hui, en passant par la théorie. »

Sortir du pré carré

Le cours est donc sur les rails. L’enthousiasme de Pierre-Stéphane Lebluy est toutefois tempéré par certains choix politiques. « C’est pathétique de ne proposer qu’une heure de cours obligatoire par semaine, déclare-t-il. Cela ne sera pas suffisant pour assimiler réellement des compétences. » Il lit cette décision comme une forme de lâcheté face aux « Églises qui ont voulu garder leur pré carré« .
Dans le même ordre d’idées, notre professeur de CPC dénonce la différence de statut entre les professeurs de morale et les professeurs de religion qui, eux aussi, pourront enseigner la philosophie et la citoyenneté, pendant une période transitoire de trois ans. « Les professeurs de morale dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles, alors que les profs de religion sont inspectés par le culte. Si certains évitent la partie du programme sur la bioéthique, par exemple, comment les en empêcher? » En attendant, Pierre-Stéphane Lebluy prépare ses bagages et s’apprête à prendre des vacances dans le sud de la France, avant de plonger dans le grand bain… du CPC. À la fois empli d’espoirs et d’inquiétudes.