Espace de libertés – Septembre 2017

International

Nouveau président de la Fédération Humaniste Européenne (FHE), Giulio Ercolessi apporte dans ses bagages son engagement citoyen, politique et de militant laïque, d’un demi-siècle. Homme de plume et amateur de grands débats éthiques et moraux qui animent la société, il pose les jalons de son mandat.


L’homme est discret. La voix posée, mâtinée des consonances mélodieuses de son pays d’origine: l’Italie. L’articulation de sa pensée est réfléchie. Tout comme les actions qu’il entend mener au sein de la Fédération Humaniste Européenne (FHE) dont il assume la présidence depuis le mois de juin dernier, succédant ainsi à Pierre Galand, qui lui a transmis le gouvernail de la laïcité européenne. Originaire de Trieste, Giulio Ercolessi est un homme engagé. Depuis toujours. Ou presque. À 15 ans, il devient membre de la jeunesse libérale et son dirigeant provincial à 16 ans. À 20 ans, secrétaire général du Parti radical. C’est qu’il y a du pain sur la planche, à l’époque, dans une Italie qui lutte pour obtenir le droit au divorce et l’abolition du Concordat. « C’était un parti très laïque, même anticlérical et antimilitariste, car il n’existait pas encore de loi sur l’objection de conscience, le service militaire était obligatoire. Il s’agissait d’un mouvement pour les libertés civiles, car la classe politique avait encore la vision d’une société fort catholique. Elle ne s’était pas rendu compte que la laïcisation de la société avait évolué« , se rappelle le Président, aujourd’hui âgé de 64 ans. Puis arrive le trublion Marco Pannella, un homme aussi passionnant que passionné, leader charismatique et imprévisible… « Je suis resté dans le parti jusqu’en 1980, lorsque Marco Pannella a eu une crise religieuse et est tombé amoureux du pape Jean-Paul II. Il s’est engagé dans des combats contre la famine et, pendant 20 ans, n’a plus parlé de laïcité. Je les ai laissé tomber. Depuis lors, je suis politiquement sans-abri« , sourit Giulio Ercolessi. Sans parti. Mais pas sans convictions. Ni sens de l’action. Car du pain sur la planche, il le sait, il y en aura également, au niveau européen.

La laïcité européenne à l’index

Afin de le soutenir dans son action, Giulio pourra bientôt compter sur un nouvel outil. Utile et ambitieux. « Parmi les priorités actuelles de la FHE, nous travaillons à l’élaboration d’un index de la laïcité des États européens, basé sur différents critères tels que la séparation État/Église, l’avortement, le mariage gay, le financement des églises, etc. Les critères d’évaluation prendront aussi en compte des situations concrètes au niveau qualitatif: par exemple, si un État autorise l’avortement, mais que dans les faits, on observe une pénurie de médecins qui le pratiquent réellement dans certaines régions. S’il y a des exceptions régionales, nous les mentionnerons. Nous projetons de publier régulièrement cet index, comme le fait Transparency International. C’est quelque chose que les médias apprécient. Le premier devrait paraître l’année prochaine. »

Les questions morales sont toujours soulevées par nos adversaires, alors que nous sommes davantage portés sur les questions pratiques

Parmi les autres priorités qui seront soutenues par le président de la FHE, une campagne contre la répression du blasphème sera bientôt lancée. Giulio Ercolessi entend aussi s’attaquer à la question du statut de l’embryon, qui est également en plein débat dans notre Plat pays. Une question sur laquelle il a son petit avis. « À chaque fois que l’on parle de ce sujet, de l’avortement, de la recherche sur les cellules souches, les questions morales sont toujours soulevées par nos adversaires, alors que nous sommes davantage portés sur les questions pratiques et des positions basées sur l’idée “du moindre mal”. Mais nous risquons ainsi de perdre notre place dans le débat moral, alors que nous avons également des arguments dans ce domaine-là, de même que des ressources académiques et scientifiques. Je vous donne un exemple: il y a deux bâtiments qui prennent feu. Dans l’un d’entre eux, il y a deux enfants qui crient pour être sauvés. Dans l’autre, il y a des centaines d’embryons dans un congélateur. Il n’y a pas le temps pour sauver les deux bâtiments, quel choix faisons-nous? Si l’on pense que les embryons sont des personnes humaines, on devrait songer à sauver ces centaines de personnes au lieu des deux enfants. Sommes-nous prêts à cela? »

Oser la position morale

Le débat d’idées, ça le connaît. Auteur de livres, contributeur à divers journaux italiens, notamment à la revue Critica liberale, soutenue par une fondation de libéraux allemands, Giulio souhaite également proposer des cycles de conférences sur de grands débats sociétaux. Quelques exemples? La laïcité comme facteur d’intégration des immigrants. Explications. « Dans beaucoup de pays d’accueil, l’intégration des immigrés est basée sur le dialogue inter-religieux. Or, certains migrants quittent leur pays car, précisément, ils ne supportent pas la discrimination sur base de la religion. C’est notamment le cas des migrants homosexuels, mais aussi des non-croyants. Lorsqu’ils se retrouvent dans les pays européens, au sein de quartiers à forte concentration immigrée, ils ne se sentent pas libres d’affirmer leur laïcité. Je pense qu’il s’agit d’un phénomène sous-estimé. Nous ne devons pas être timides et oser affirmer que la laïcité est le meilleur vecteur d’intégration de la diversité. C’est une question de vivre-ensemble, mais aussi de dignité humaine et de liberté individuelle. Surtout que dans certains pays, l’aide sociale passe par le convictionnel. En Italie, les organisations catholiques constituent plus ou moins les seules qui vont offrir de l’aide. C’est un peu la même situation que celle des immigrés italiens arrivés à New York début du XXe siècle où le seul réseau de sécurité sociale qui existait était celui de la mafia sicilienne! » Voilà qui est dit.

Une dernière petite question à cet Européen convaincu, tendance fédéraliste: Vous avez écrit un livre sur le suicide de l’Europe en 2009 (1). Nous y sommes, au suicide? « Depuis 2008, l’Europe a bien régressé. Mon livre est plus d’actualité aujourd’hui qu’à l’époque! En Italie, après le Brexit et Trump, les gens se sont rendu compte que si nous votons de manière irrationnelle, il y a un risque que nous gagnons. Peut-être que cela change la donne. Par contre, j’ai vu qu’il y a eu un livre publié en Italie, en 1930, avec exactement le même titre que le mien. À l’époque, il y avait déjà les nazis en Allemagne, l’Italie était toujours dans la Société des Nations et la thèse était que sans la SDN il y avait un risque de Seconde Guerre mondiale. J’espère que mon livre ne sera pas aussi prophétique! » Espoir que personne n’aura envie de contredire!

 


(1) Giulio Ercolessi, L’Europe vers son suicide ? Sans Union fédérale, le sort des Européens est inéluctable, éditions Dedalo, 2009.