Espace de libertés – Septembre 2017

« Créer des passerelles, pas des barrières! »


Arts

Un entretien avec Fatou Diome

Fatou Diome, c’est d’abord un sourire, une bonne humeur communicative, une plume aiguisée, un style imagé et un sens de la formule imparable. Née au Sénégal, elle arrive en France en 1994 pour les beaux yeux d’un homme. Elle y reste… pour les valeurs de Marianne. Elle, la voyageuse libre, crie dans ses écrits son amour pour la France des droits de l’homme, mais aussi sa colère contre l’Europe hypocrite et amnésique qui laisse mourir des milliers de migrants en Méditerranée.


Espace de Libertés: Dans votre dernier essai Marianne porte plainte, vous écrivez: « Je ne serai pas de ceux qui auront laissé les loups dévorer les agneaux au nom de l’identité nationale », ça vous irrite, ce concept d’identité nationale?

Fatou Diome: Les obsédés de l’identité nationale sont ceux qui ont un problème avec leur propre identité. Les questions, vous vous les posez quand ça vous taraude. Sinon, vous n’en faites pas tout un fromage. Moi, je me sens parfaitement Française et je ne suis pas moins Sénégalaise. Regardez les gens crispés sur l’identité nationale, ils sont souvent venus d’ailleurs, plus loyalistes que les enfants du lit de Marianne. De tous les présidents de la Ve République, un seul s’est accroché à l’identité nationale : précisément l’étranger adopté, d’origine greco-hongroise. Sa famille est arrivée en France et Marianne lui a dit: « Bienvenue« . Moi, je suis Sérère et Marianne m’a dit: « Fatou, bienvenue« . Pourquoi serait-il plus légitime que moi? La dose de mélanine y change-t-elle quelque chose? Dans ce cas, il faut l’avouer… et c’est du pur racisme. Si seule la nationalité prévaut, la mienne vaut la sienne.

© Pierre Schonbrodt, Fatou Diome

Comment changer le regard de ceux qui vous considèrent toujours comme une étrangère, moins Française qu’eux?

Par le dialogue. Sans haine, sans rancune, sans amertume. Quand je croise dans un hôtel parisien une dame qui me dit: « Je voudrais une plus grande serviette et du Perrier dans le mini-bar. » Je la regarde et lui réponds: « Allô Marie-Chantale, je n’ai pas prévu ça dans ma valise! » (Rires) C’est aussi simple que ça. Marie-Chantale doit se rendre compte que les Noirs voyagent comme elle et que l’hôtel n’est pas réservé aux Blancs. Discuter, ça aide. Tout le monde a le droit d’ignorer quelque chose à un moment donné. C’est persister dans l’erreur qui est grave. L’éducation permet aussi d’élargir notre horizon, de rabattre les barrières. L’éducation, c’est le rayon de soleil qui nous sort des ténèbres. Si on enseigne l’histoire des tirailleurs Sénégalais par exemple, certains qui votent pour la Marine marchande de haine vont comprendre pourquoi on se retrouve avec des Noirs en France. Ce sont d’abord les Français qui sont venus chez nous, on ne les a pas invités. Être crispé sur l’histoire, accuser, chercher des coupables, ça ne sert à rien. Le sort des souffrants d’hier, je ne peux pas le changer. Par contre, la maltraitance d’aujourd’hui, je ne l’accepte pas, et ça, je peux la combattre. Je peux agir sur le présent pour que nous ayons un futur plus réconcilié.

© Pierre Schonbrodt, Fatou Diome

Et ça passera par plus de justice migratoire?

Tant que les flèches du capital seront ascendantes, toujours vers le Nord, les gens du Sud affamés les suivront. Il n’y a pas de raison que les marchandises voyagent et pas les humains. L’immigration économique sera légitime tant qu’il n’y aura pas une meilleure balance de l’économie mondiale. Au moment de la famine en Irlande, les gens sont partis en Amérique : ça choque moins parce qu’ils étaient blancs? Ici, c’est une migration avec des gens de couleur, des Arabes et des Noirs. On les voit physiquement. On les identifie comme ceux qui sont venus. Mais tous les Africains qui bougent ne sont pas des immigrés. Pourquoi des jeunes Français ou Belges iraient-ils travailler au Canada, mais que des jeunes Sénégalais n’auraient pas le droit de terminer en Suisse? Il ne faut pas exclure les pays du tiers-monde de cette mobilité internationale. Ils ont la même soif de liberté. Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est plus légitime de demander à quelqu’un de naître dans un endroit du globe, de grandir, de vieillir et de mourir là-bas, sans avoir vu autre chose. Et puis, on ne vient pas seulement pour le goût de votre pain. L’Europe a autre chose à partager. On vient pour des valeurs, pour votre culture et pour découvrir un autre côté de nous-mêmes.