Espace de libertés – Septembre 2017

Snowden, ce « chic type » gardien des droits démocratiques


Dossier

Une interview de Flore Vasseur, réalisatrice de Meeting Snowden

Edward Snowden est certainement la figure de proue des lanceurs d’alerte contemporains. Les atteintes aux droits démocratiques qu’il dénonce, suite à la surveillance de masse orchestrée par la NSA (National Security Agency), l’ont placé sur le devant de la scène médiatique. Aujourd’hui réfugié en Russie, ses interviews se font rares. Dans le documentaire « Meeting Snowden », il a accepté de revenir sur son acte de dénonciation et d’engager un débat très prolifique en compagnie de Larry Lessig, professeur de droit à Harvard et de Birgitta Jónsdóttir, fondatrice du parti Pirate en Islande, autour de cette question: Comment sauver la démocratie?


 

Espace de Libertés: Pensez-vous que les lanceurs d’alerte soient d’abord motivés par une défense du droit d’expression ou des droits humains en général?

Flore Vasseur: C’est la même chose. La démocratie pose en son fondement même la liberté d’expression, c’est éminemment lié. Pour Snowden, la question de la surveillance de masse relève d’un problème démocratique. C’est une atteinte aux droits fondamentaux qui s’est faite dans notre dos.

Dans le documentaire, Snowden affirme que tout le monde possède ce droit à l’autodétermination, même les gens ordinaires, qu’a-t-il voulu dire?

Il dit que chacun doit poser sa brique s’il pense qu’il y a quelque chose à dénoncer. Le droit à l’autodétermination est un droit pivot, une pierre philosophale, dans une démocratie. Quand on attaque la vie privée, on attaque le droit à penser par soi-même, à avoir ses propres idées et à prendre des décisions en conséquence. Quand il dit que si l’on ne fait rien face à une problématique d’alerte, les coûts seront plus importants que la mise de départ, il veut dire que le préjudice individuel à court terme sera moindre que les conséquences à long terme si l’on ne fait rien.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à Edward Snowden?

Je travaille depuis dix ans sur des thématiques comme celles-là. Je m’interroge sur notre rapport au pouvoir, à la finance, à la démocratie, de même que sur l’impact de la technologie sur nos vies. Je m’intéresse donc naturellement aux lanceurs d’alerte et encore davantage aux hackers, cette espèce de contre-pouvoir citoyen qui émerge grâce à une très bonne maîtrise de la technologie. Naturellement, quand Edward Snowden a révélé l’ampleur des écoutes massives des populations à la face du monde, c’est un acte qui m’a interpellée.

Pourquoi davantage Snowden que Julian Assange?

Je me suis aussi intéressée à Julian Assange, pour assez vite m’en détourner. Pourtant, les débuts de Wikileaks étaient intéressants, avant d’être instrumentalisés. C’est dommage! Snowden et Assange, n’ont pas du tout les mêmes profils et rapports au monde. Je pense que Assange n’a pas assez de contrôle et n’est pas assez réfléchi, cela donne l’impression d’être mal maîtrisé. Snowden a appris des erreurs d’Assange, notamment à l’égard des médias. C’est aussi un vrai patriote, il adore son pays. C’est un pro-constitution et il ne s’est mis en travers de la route que pour dénoncer, au péril de sa vie, des faits qu’il estimait graves. Mais il ne prend pas le monde en otage pour cela. Snowden a également trié les informations en sa possession avant de les transmettre à des journalistes précis. La démarche de Assange est très différente: avec Wikileaks, nous sommes face à une plate-forme sécurisée où les lanceurs d’alerte peuvent déposer leurs informations, que des journalistes vont utiliser. Wikileaks est donc davantage une agence de presse et Julian Assange plus un journaliste qu’un lanceur d’alerte.

Comment approche-t-on une personnalité comme Snowden?

Sans Birgitta et Larry, je ne suis pas certaine que cela aurait fonctionné. Je pense que c’est cela qui l’a séduit. Quant aux précautions d’usage, ce sont celles mises en place par toutes les personnalités. On ne débarque pas chez les gens comme ça. C’est normal de protéger sa vie privée. Il n’y a rien qui m’ait choquée dans ses exigences sécuritaires.

Dans le documentaire, Edward Snowden rappelle qu’il a tenté d’interpeller la NSA sur la gravité des faits. Il affirme aussi qu’il devrait être de l’intérêt des hommes politiques d’agir dans la moralité. Est-ce réaliste?

En effet, il est allé voir ses supérieurs à la NSA, il en a parlé à ses collègues, mais personne n’a bougé, donc il a décidé d’agir. Il attend des hommes politiques une cohérence entre leurs actes et leurs paroles et d’être capables de rendre compte de leurs actions. Le but n’est pas que tout le monde devienne lanceur d’alerte du jour au lendemain comme si c’était la solution à tout. Ce serait une injonction terrible. Mais si nous pouvions déjà soutenir les lanceurs d’alerte et porter un autre regard sur eux, ce serait génial. Si l’on valorise leurs actes, ils se sentiront moins en danger d’agir de la sorte. Seul le regard des citoyens peut changer la donne, notamment s’ils exigent une protection légale des lanceurs. En dehors de cela, simplement être mus par une cohérence personnelle qui peut pousser, soit à démissionner, soit à lancer une alerte, soit à sortir un scoop, bref à agir face aux droits bafoués, est important. La philosophie générale consiste à dénoncer l’impunité et les actes de ceux qui se pensent au-dessus des lois. Jusqu’à présent, notre système ne valorise pas ces actes-là. Ce n’est pas valorisé de dévoiler la vérité, d’être digne et cohérent, d’agir pour le bien commun et de lever des compromissions.

L’une des autres personnes présentes dans le documentaire, Larry Lassig, qui est aussi pionnier de l’Internet libre, affirme que lancer une alerte, c’est comme sauter d’une falaise, sans savoir ce qu’il y a en-dessous. Mais qu’il faut sauter! Quel est son moteur d’action?

Larry Lassig a un idéal de liberté, de justice, c’est un fou de constitution, un grand idéaliste, mais sans naïveté. Ce qui le motive, c’est cet idéal de justice et l’intérêt général.

Certaines choses vous ont-elles étonnée dans cette rencontre avec Snowden?

Je m’attendais à quelqu’un d’impressionnant. Et il m’a en effet impres­sionnée. Intellectuellement. Mais encore davantage humainement. Je l’ai trouvé extrêmement affable, attentif aux autres, calme, disposé à aider, gentil. Il est hyper articulé et réfléchi. Il a une posture morale, il est extrêmement aligné entre ce qu’il dit, ce qu’il est et fait. J’ai rarement vu une telle droiture. Il n’est absolument pas narcissique ou paranoïaque. Il est digne et intègre. Je ne sais pas comment le dire autrement: « C’est vraiment un chic type! »