En juin dernier, le DUP (Parti unioniste démocrate), formation extrémiste d’Irlande du Nord, était appelé à la rescousse par la première ministre britannique, Theresa May, pour s’offrir une majorité. Un choix loin d’être anodin! Poète et auteur nord-irlandais, Damian Gorman utilise la narration comme outil de compréhension et de médiation avec les résidents de zones de conflits, telles que l’Irlande du Nord et le Proche-Orient. Pour « Espace de Libertés », il livre une réflexion sur ce parti populiste, mâtinée de son histoire et expérience personnelle. Carte blanche.
Le hasard des choses fait que je me trouve au Proche-Orient lorsque je parcours mes notes pour cet article. Ici, la tension est palpable, elle est même tellement présente que l’on pourrait presque la photographier. Ce matin, dans les rues de Jérusalem-Est, les gens circulent sans bruit, silencieusement, prudemment, sous la menace. Nous vivons tout en sachant que la paix frêle du matin finira bien par être perturbée. Peut-être aujourd’hui, peut-être demain… Je connais bien ce genre de journée, une journée de lendemain de violences où l’on retient son souffle pour celles à venir. Je le reconnais de mon enfance passée en Irlande du Nord pendant « les troubles ». En 1972, une année particulièrement difficile, nous avions perdu notre maison et avions dû déménager dans un camping de caravanes. Hors saison, il n’y avait qu’une seule autre caravane qui était occupée de temps en temps. Elle était plus grande et plus luxueuse que notre caravane de location, et Bobby, le responsable du camping, avait dit à mon père qu’elle appartenait au révérend Ian Paisley. Ian Paisley, le pasteur agitateur qui avait créé, dans les années précédentes, le Parti unioniste démocrate (DUP), au ton plus fort et plus cru, dans la politique protestante ; lui-même qui, en 1969, avait dit des catholiques (que nous étions): « Ils se multiplient comme des lapins et se propagent comme la vermine.« Ian Paisley qui, pour nous les enfants, était le grand méchant loup. Un personnage que les parents pouvaient évoquer pour obtenir obéissance. Voilà avec qui nous partagions (parfois) notre camping pendant l’hiver. Je ne l’ai jamais vu en chair et en os, mais je le voyais souvent à la télévision, cette année-là, ainsi que les suivantes. Je l’ai vu mener son parti, le DUP, pendant les années 1970 et au début des années 1980, dans une campagne contre la légalisation de l’homosexualité en Irlande du Nord. Une campagne qui portait l’ignoble slogan « Sauver l’Ulster de la sodomie« .
Virée paramilitaire
Je l’ai vu, lui et son DUP, flirter dangereusement avec les paramilitaires pendant les années 1980. Pour s’opposer à l’Accord anglo-irlandais, qui donnait à peu près à Dublin voix au chapitre dans les discussions sur l’avenir de l’Irlande du Nord, ils appelèrent de leurs vœux la création d’une « force organisée et disciplinée qui ne plierait, ni ne céderait » tant que l’Accord serait en place. Ainsi naquit la “Ulster Resistance”, une organisation qui paradait en béret rouge, parfois au beau milieu de la nuit; parfois inspectée par Ian Paisley et son adjoint du DUP, Peter Robinson. Un monstre avait été créé et le DUP finit par le désavouer. Un véritable arsenal – dont 200 fusils d’assaut de fabrication tchèque – avait été introduit clandestinement en Irlande du Nord par la Ulster Resistance, en collaboration avec deux groupes paramilitaires bien établis. Le DUP avait alors déjà pris ses distances, mais avant cela, le dirigeant du parti avait (étrangement) repris les mots de Malcolm X en proclamant: « Tout homme d’Ulster doit rejoindre la résistance – quels que soient les moyens exigés par la situation – contre ceux qui voudraient nous associer contre notre gré à une république comprenant toute l’Irlande. »
Les gays pourraient être « guéris » de leur homosexualité, en particulier par « un bon chrétien ». (Iris Robinson, DUP)
La Terre a moins de 10 000 ans!
Pour comprendre le DUP, le parti qui permet aux conservateurs de Theresa May de se maintenir au pouvoir au Royaume-Uni, il faut comprendre quelles sont les racines du parti via le Paisley-isme. Ce que je vous raconte ici n’est pas non plus toute l’histoire (nous le verrons) de feu le Révérend Paisley; et il est important de reconnaître que d’autres que lui ont été – et sont – responsables de la ligne du parti. Il y a, par exemple, Mervyn Storey qui, lorsqu’il était président du comité de l’éducation du DUP, était également membre de la Fondation Caleb, une organisation qui croit, entre autres, que la Terre a moins de 10 000 ans. On retrouve dans cette même organisation, Nelson McCausland, un ancien professeur de sciences qui devint le secrétaire d’Irlande du Nord de la Lord’s Day Observance Society, avant de devenir ministre de la Culture (DUP) à l’Assemblée d’Irlande du Nord. C’est en cette qualité qu’il écrivit au Musée d’Ulster pour demander que soient exposés des éléments créationnistes, ainsi que d’autres pièces anti-évolution afin de « refléter le point de vue de tous les citoyens d’Irlande du Nord« , au lieu de ne montrer « que » les conclusions de la science du XXIe siècle. Il y a également Iris Robinson, épouse de Peter Robinson, le successeur de Ian Paisley à la tête du parti. Je ne vais pas ici alimenter les interminables discussions sur la vie personnelle de cette dame, mais il est vrai que cette ancienne députée et ministre de l’Assemblée d’Irlande du Nord a un jour dit des homosexuels qu’ils étaient « tordus et pervers » et que l’homosexualité était une « abomination« , reflétant par là le point de vue de bon nombre de représentants du DUP et de ses partisans. Dans une interview donnée à la radio, que j’ai entendue de mes propres oreilles, elle avait déclaré que les gays pourraient être « guéris » de leur homosexualité, en particulier par « un bon chrétien ».
Se fabriquer l’espoir
Arlene Foster, la dirigeante actuelle du DUP, est peut-être un personnage plus complexe. Elle est bien évidemment, elle aussi, conservatrice sur les questions de morale personnelle. Elle n’œuvre pas à – ni ne souhaite – l’extension de la loi sur l’avortement en Irlande du Nord (où l’avortement n’est autorisé, à l’heure actuelle, que dans les cas les plus extrêmes), et elle est opposée au droit des homosexuels à se marier, ce qui en fait le seul endroit de toutes les îles britanniques où le mariage pour tous n’est pas en vigueur). La raison pour laquelle elle me paraît plus complexe est que, malgré que son père – un agent de police contractuel – fût abattu par l’IRA et qu’elle-même eût échappé à une bombe dans un bus scolaire, elle parvint à travailler au sein du gouvernement avec Martin McGuiness, ancien commandant de l’IRA. Cette relation ne fut jamais simple – aussi se termina-t-elle mal – mais tous deux parvinrent tout de même à travailler ensemble quelque temps.
Ce sont des choses comme cela qui me redonnent espoir. Qui sait si l’accord conclu entre le DUP et Theresa May fonctionnera, que ce soit pour la Grande-Bretagne ou pour l’Irlande du Nord? J’ai mes doutes, de sérieux doutes, mais aussi de l’espoir. Car en Irlande du Nord – tout comme au Proche-Orient –, lorsqu’il n’y a pas d’espoir, il faut le fabriquer soi-même. Et dans la recette de mon espoir, il y a comme ingrédient le fait que Ian Paisley, fondateur du DUP, celui-là même qui me qualifiait de « vermine » en 1969, a réussi à former un gouvernement avec ses ennemis jurés, le Sinn Fein, 40 ans plus tard, en déclarant: « Je pense que l’Irlande du Nord est entrée dans des temps de paix […] Il sera si bon de participer à la merveilleuse guérison de notre province… » Et pour reprendre les mots du fils de Ian Paisley à l’occasion de la mort de Martin McGuiness, « La façon dont une personne commence son voyage est, bien sûr, importante. Mais c’est la façon dont elle le finit qui compte le plus.«