Deux ans après le début de ce que d’aucuns ont qualifié de « crise des migrants », où en est la situation migratoire en Belgique ? Myria, le Centre fédéral Migration, dresse l’état des lieux au cœur d’un rapport annuel particulièrement étayé.
« En Belgique, on observe une baisse significative des demandes d’asile. Les politiques servent à favoriser ou à dissuader l’immigration et cela a fonctionné. L’Europe “a réussi” à canaliser le flux des réfugiés par une double action. Premièrement par la fermeture physique des frontières entre la Grèce et ses voisins. Deuxièmement avec le fameux “deal” entre la Turquie et l’UE. Mais le reste du monde peut témoigner que les raisons qui poussent les populations à l’exil perdurent et augmentent encore« , explique François De Smet, directeur de Myria. D’après les derniers chiffres publiés par le rapport annuel du Centre fédéral Migration, le nombre de demandeurs d’asile en Belgique a en effet chuté de 63% entre 2015 et 2016, passant de 38.990 demandes à 14.250. Une situation qui n’est pas alignée sur la tendance européenne où la diminution des demandes d’asile n’est que de 4%, alors que l’Allemagne fait face de son côté à un boom de 63%, dû aux arriérés d’enregistrement des arrivées de 2015. Pas de surprise concernant les nationalités des demandeurs d’asile: ce sont toujours les Syriens qui constituent le gros du peloton, suivis des Afghans, des Irakiens et des Somaliens. En revanche, l’actualité politique de la Turquie amène les demandes d’asile turques à la sixième position. Alors, la crise des migrants est-elle terminée? « À mon sens, il s’agit plus d’une crise de l’asile que de la migration. Il n’y aurait pas eu cet appel d’air et cette cacophonie si certains pays n’avaient pas réagi en se refermant sur eux-mêmes. Car un million de réfugiés, ce n’est jamais que 0,2% de la population européenne et l’Europe n’accueille que 6% des réfugiés du monde. Si nous avions eu une politique migratoire européenne basée sur la coopération et des critères objectifs, nous aurions pu éviter cette situation et d’autres répercussions, comme l’attrait des populismes« , commente Arnaud Zacharie, directeur du CNCD (Centre national de coopération au développement).
Un million de réfugiés, ce n’est jamais que 0,2% de la population européenne et l’Europe n’accueille que 6% des réfugiés du monde.
Relocalisation et Turquie: gros bémol
Ces chiffres ne doivent pas cacher une réalité humanitaire nettement plus nuancée et dramatique. De nombreuses questions juridiques et morales demeurent quant à la gestion de ce flux migratoire au niveau de l’Union européenne. Les violations des droits fondamentaux sont notamment courantes dans les hot spots grecs et italiens, avec des détentions illégales prolongées, ou l’usage de la force pour prendre les empreintes digitales. Sans oublier les conditions de vie précaires et le manque d’encadrement et de scolarisation des enfants, entre autres. En novembre 2016, la Belgique a d’ailleurs rappelé ses experts des îles grecques pour cause de situation sécuritaire précaire. C’est dire! L’on observe aussi des manquements par rapport aux engagements de relocalisations proposés par l’Europe. Près de 600 personnes ont été accueillies en Belgique via ce principe, ce qui équivaut à peine à 16% du quota à remplir. Peut mieux faire! « Sur le principe, la relocalisation est une bonne idée, qui pourrait dans un monde idéal succéder aux accords de Dublin, avec une répartition des populations, sur une base équitable. Cela pourrait même devenir un modus vivendi, en dehors des périodes de crise. Mais je crois que nous sommes encore dans un poker menteur: la Belgique n’est pas le pire élève de la classe, mais elle traîne des pieds », estime François De Smet.
Enfin, « l’accord » entre l’UE et la Turquie par rapport à la gestion des réfugiés pose évidemment question, à différents niveaux. « Quand on voit les fonds dégagés pour le “deal” avec la Turquie, soit 6 milliards d’euros pour maximum 72.000 réfugiés, c’est cher payé. Mais surtout, en sous-traitant la gestion des frontières à Erdoğan, non seulement on prête le flanc au contournement du droit d’asile, mais l’on devient aussi vulnérable par rapport aux enchères exercées par ce régime vis-à-vis de l’UE. Ce qui m’inquiète encore plus, c’est que l’UE veut dupliquer ce type de procédure avec la Libye et avec cinq pays d’Afrique subsaharienne. C’est ce que l’on appelle les pactes migratoires, qui ne sont pas des accords ratifiés. On est en train d’instrumentaliser la coopération au développement, en conditionnant l’aide aux pays les plus pauvres, à des politiques migratoires restrictives. Ceci est comptabilisé sur les budgets de la coopération. La Belgique ayant par exemple mobilisé 10 millions d’euros« , déplore Arnaud Zacharie.
Affaire des visas: clarifier les critères
Cette année fut aussi marquée par l’affaire des visas refusés par Théo Francken à une famille de Syriens. En Belgique, obtenir un visa humanitaire est une faveur et non un droit: il s’agit d’une prérogative discrétionnaire du secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration. « La Belgique est assez généreuse au niveau de la délivrance de ces visas, surtout pour des opérations de sauvetage. C’est très bien pour les personnes concernées, mais c’est aussi injuste pour d’autres qui essayent d’obtenir ces visas depuis l’extérieur, en toute légalité et qui n’ont quasiment aucune chance de les avoir, contrairement à ceux qui arrivent illégalement avec des passeurs et qui introduisent leur demande une fois sur place. C’est un peu dommage de ne pas encourager les gens qui respectent l’intégrité de notre territoire et qui jouent le jeu. Il semblerait que le secrétaire d’État nous suive sur notre recommandation d’éclaircissement des critères pour l’obtention de ces visas, nous attendons la suite« , commente François De Smet.
Au niveau des chiffres, qui ne sont pas non plus très transparents, selon Myria, 85% des visas sont demandés pour des séjours de moins de trois mois. Mais les dernières statistiques relatives à la demande de visas long séjour démontrent une augmentation de 8% depuis 2011. Pourtant, parmi les 37 586 demandes introduites en 2016, seules 2% le sont sous couvert de motifs humanitaires. La principale motivation porte sur le regroupement familial (54%), particulièrement de la part des Syriens. Les Indiens arrivent en deuxième position, avec des demandes pour motif professionnel. C’est d’ailleurs celui qui a le plus de chances d’aboutir, puisque l’on ne relève que 2% de refus pour cette catégorie, contre 39% pour des raisons familiales. Les dossiers de regroupement familial ont néanmoins augmenté ces derniers mois, car il est plus facile d’introduire une demande dans l’année qui suit la reconnaissance du statut de réfugié. En revanche, des conditions supplémentaires sont exigées telles que prouver son intégration et ses ressources. Dans son rapport, Myria épingle aussi les difficultés rencontrées par les personnes handicapées demanderesses d’un regroupement familial, puisque les allocations sociales ne sont pas assimilées à des revenus, lors de l’examen de leurs ressources. Une discrimination qui pourrait être rectifiée par la modification de la loi sur les étrangers.