Les « Pink Screens », le festival « queer » bruxellois réinvestit les salles obscures. L’occasion de se pencher dans la représentation des minorités sexuelles au cinéma et son évolution au fil des ans.
Si le cinéma reflète notre société et ses mutations, l’on peut s’interroger sur la place octroyée aux homosexuel.le.s, travesti.e.s, transsexuel.le.s, bref aux LGBT. Une chose est sûre : au fil des années, leur image à l’écran a changé. Comme le regard de M. Tout-le-monde et les lois. Dans certains cas, le cinéma a d’ailleurs encouragé les changements de mentalité. Avant 1934, bien que discrète, la représentation de la diversité sexuelle est présente : des talents comme Rudolph Valentino, Louise Brooks, Jean Cocteau la distillant çà et là. Mais avec la montée de politiques autoritaires, vers le milieu des années 1930, le ton se durcit : plus question de représenter ces « déviances ». Aux États-Unis, le Code Hays, pétri de morale religieuse puritaine, interdit toute représentation d’ambiguïté sexuelle. « Une censure qui sera habilement contournée par des chemins de traverse », expliquent Jacques Paulus, Soizic Dubot et Frédéric Arends, les responsables du festival Pink Screens. Certains films sont d’ailleurs passés à la postérité en partie pour leur évidente ambiguïté. « Pour découvrir comment les artistes se jouaient de la censure, visionnez le documentaire The Celluloid Closet (1996) », conseillent vivement nos interlocuteurs.
Révolution culturelle et dépénalisation
Au cours des années 1960, le Code Hays devient désuet. Les mœurs se libèrent, l’image de l’homosexualité aussi. Cela se traduit à l’écran par une représentation plus directe, quoique souvent liée à des modes de vie plus marginaux ou artistiques. L’évolution demeure toutefois lente et il faut encore attendre quelques années avant de voir les homosexuels et travestis montrés autrement que sous le profil de personnages qui prêtent le flanc à la pitié, la peur, et bien sûr au rire, comme dans la comédie à succès La Cage aux folles. « Pendant des années, les personnages gays sont restés enfermés dans les clichés : soit tueur en série, soit pervers, victime condamnée d’office ou folle de service… »
Durant les années 1980, les lois changent. « La France dépénalise l’homosexualité », expliquent les organisateurs des Pink Screens, « et on assiste à un vrai changement. Même s’ils servent encore le plus souvent de faire-valoir, les personnages gays et travestis deviennent plus présents. » Il faudra toutefois attendre les années 1990 pour découvrir des films abordant de front l’identité sexuelle en tant que telle. Jusqu’à la fin des années 1990, le coming-out et la transition douloureuse sont des thèmes récurrents.
Des histoires à part entière
Mais les années 1990, ce sont aussi les années sida. Le cinéma joue un rôle-clé avec un message pour plus d’ouverture et de tolérance. « Des œuvres comme Les Nuits fauves de Cyril Collard ou Philadelphia ouvrent clairement des portes. » Parmi les cinéastes de renom à avoir contribué à modifier la perception de la communauté LGBT, on notera l’espagnol Pedro Almodovar, dont la majeure, voire la totalité des films, abordent ouvertement la sexualité et l’homosexualité. « Avec les années 2000, la période de visualisation s’achève, c’est l’arrivée du phénomène queer avec des cinéastes comme Todd Haynes, Larry Clark, Gregg Araki, Gus Van Sant… » Il n’est plus nécessaire d’affirmer l’existence des minorités sexuelles. À l’écran, ses membres passent au premier plan, parfois encore et toujours en tant que victimes, comme dans Boys don’t cry de Kimberly Pierce. Mais l’on voit aussi surgir des récits porteurs d’espoir, comme Fucking Amal de Lukas Moodysson ou Brokeback Mountain d’Ang Lee.
Les visages et la position des héros ont donc changé au fil des décennies. Les thèmes aussi. Ils deviennent des personnages du quotidien à part entière. « Leur identification ou transformation n’est plus le sujet principal, l’attention se porte sur d’autres aspects de la vie comme les relations amoureuses, la mixité raciale, le temps qui passe, la parentalité… » En attestent des œuvres récentes comme La Vie d’Adèle, ou plus récemment, Embrasse-moi, Lola Pater et Una mujer fantastica. « On peut réellement parler d’évolution, mais il reste des tas de combats à mener », conclut l’équipe des Pink Screens qui, depuis sa création, veille à poser les « bonnes » questions, et surtout à ce qu’elles trouvent écho chez tous !