Espace de libertés – Octobre 2017

Coup de pholie

Lorsque Rome s’est effondrée au Ve siècle de notre ère, le latin, loin de devenir « langue morte », s’imposa durant le Moyen Âge et bien au-delà comme langue liturgique et savante : langue sacrée, langue des clercs, de la culture et de la pensée, celle d’Érasme ou de Descartes. Lorsque Byzance s’effondra au XVe siècle, le grec, au lieu de sombrer, s’exila et se répandit dans l’Europe des humanistes avides de redécouvrir les racines de leur propre civilisation. La résilience et la longévité de ces deux langues ne sont plus à démontrer : elles sont parvenues à s’imposer alors que leurs locuteurs initiaux avaient été vaincus sur le champ de bataille. Le vaincu a vaincu son vainqueur, comme disait le poète.

Cependant, si ces deux langues survécurent à la chute de Rome et de Byzance, elles semblent aujourd’hui être entrées en phase terminale et risquent de ne pas survivre au Pacte dit d’excellence que nous concocte notre ministère de l’Éducation. Dans les années 1960 déjà, Vatican II avait congédié le latin afin de moderniser sa liturgie pourtant dite « romaine ». Le but consistait à s’adresser aux ouailles dans la langue profane du quotidien. Je parie que Virgile et Cicéron dans leur tombe se sont réjouis de voir leur bel idiome débarrassé de l’obligation de chanter les louanges d’une trinité dont ils n’avaient que faire. N’empêche : le latin perdait un allié précieux en se voyant ainsi rangé au placard par la Rome des papes qui succéda à celle des Césars. Mais cela ne concernait in fine que les vaticinations dominicales des croyants. Depuis lors, les langues anciennes sont sous perfusion. Aujourd’hui, on procède à leur euthanasie au nom de l’excellence. Il y a peu, le même vent latinicide et hellénophobe avait déjà soufflé en France où une autre ministre avait considéré que l’enseignement des langues mortes était élitiste et contraire aux principes démocratiques… Une tête dépasse-t-elle ? Décapitons (de caput, capitis, 3e déclinaison neutre) vite fait ! Ô progrès, que d’erreurs ne commet-on pas en ton nom !

L’histoire jugera à sa juste valeur le fameux pacte qui condamne à mort la culture classique, socle de notre civilisation. Pour autant bien sûr que l’histoire ne suive les langues mortes dans leur tombe, auquel cas l’affaire est entendue : le nivellement par le bas annonce toujours la résurgence de la barbarie et le retour des ténèbres. Ite missa est.