Partie de Scandinavie, l’expérience Pirate a fait des émules du combat démocratique participatif en ligne, avec un désir de réveil citoyen sur fond d’enjeu digital.
L’expérience Pirate a lancé son premier grappin sur le système démocratique représentatif traditionnel en 2006, en Suède. C’est cependant en Islande que s’amorcera six ans plus tard son plus retentissant et emblématique abordage, au fil des élections. Emmené par son égérie Birgitta Jonsdottir, le parti Piràtar islandais vole depuis lors de succès en succès. Dès sa première participation aux législatives de 2013, il décroche 5,1 % des voix et trois députés. Ensuite, aidé par le scandale des « Panama Papers » qui impliquait le Premier ministre et porté par des sondages s’envolant jusqu’à 36 % d’opinions favorables, l’équipage islandais vogue avec une confiance en acier trempé vers le scrutin législatif d’avril 2016. Bien que le succès soit au rendez-vous pour le Parti alternatif, il se révélera plus relatif qu’attendu. Des sondages radieux à la réalité des urnes, Pirate émergera finalement du scrutin avec 14 % des voix et 10 sièges.
Certes une belle progression mais aussi le révélateur d’un paradoxe : les idées de liberté, de solidarité, de changement portées par le parti fer-de-lance de la démocratie citoyenne participative séduisent et rencontrent la sympathie d’une bonne partie de la société. Mais pas jusque dans les bulletins de vote. Et à ce jour, le succès islandais ne s’est pas disséminé dans la soixantaine de pays qui accueillent ce parti.
Un nouveau populisme… mais positif
Pourtant, comme en atteste le fait d’armes en Terre de Glace, partout le terreau d’une remise en question de la démocratie représentative essoufflée n’a jamais été aussi fertile. « L’augmentation de la volatilité électorale, l’affaiblissement des structures partisanes traditionnelles, les scandales, la montée tangible d’un déficit démocratique ont favorisé la naissance de beaucoup de petits partis dont le parti Pirate. Il incarne une espèce de nouveau populisme, mais dans un sens positif », analyse Nicolas Stefanski, politologue, coauteur d’un Courrier du CRISP sur le sujet. Dans ce contexte, les Pirates armés de leurs thèmes favoris que sont la démocratie participative, transparente et horizontale ; le changement « de l’intérieur » des règles du système politique ; la liberté d’expression ; la protection de la vie privée et des droits individuels ; le partage du savoir et de la culture, un Internet « libre » (voir encadré)… devraient avoir un boulevard devant eux.
Mais, sous nos latitudes, ils semblent préférer la brume et les chemins de traverse. Et pas toujours les mêmes. Une attitude qui est à la fois le reflet d’un état d’esprit libertaire, de la diversité des profils arrimés à la mouvance Pirate et d’un mode de fonctionnement radicalement horizontal et pluraliste. Ce qui donne aux partis Pirates des compositions très hétérogènes de membres qui, liberté oblige, s’opposent très souvent sur les stratégies, les actions ou l’utilité même de passer par la case élections. On retrouve dans ces partis des individualités anti-establishment, des altermondialistes, des anarchistes, des artistes, des défenseurs de l’activisme social et local… Certains nourrissent des ambitions politiques et d’exercice du pouvoir par l’application d’un programme visant à changer le système politique de l’intérieur. D’autres pas. « Pour certains Pirates, les élections sont une étape essentielle. Pour d’autres, la priorité est de se focaliser surtout sur l’application de nos propres valeurs en interne et à leur diffusion sur le terrain de la société », nous décrit un membre de la crew liégeoise de Pirate Belgique.
Compte tenu de ce qui précède, la piraterie noir-jaune-rouge n’a pas fait d’étincelles électorales jusqu’ici. Aux provinciales tout comme aux communales de 2012, Pirate frémissait à 2 % à Bruxelles et en Wallonie, en loupant de peu, avec un score de 5,19 %, un siège de conseiller à Ottignies/Louvain-La-Neuve. Quant aux législatives fédérales et régionales de 2014, elles ont pointé le parti partout sous le 1 % des voix, sauf en Brabant wallon avec 1,54 %… Les communales de 2018 et législatives de 2019 seront un nouveau test pour les défenseurs de la démocratie participative sous toutes ses facettes.
Règle des « trois pirates »
Pour en savoir plus sur la ligne actuelle des « escadrons » belges, nous avons joint le « capitaine » de l’antenne Pirate de Liège. Qui d’emblée nous a dit préférer répondre à nos questions par mail… Okay. C’est que, chez Pirate, on ne badine pas avec les réponses à la presse ni avec le sacro-saint principe démocratique. Le retour de mail nous précise : « Les réponses ci-dessous ont été apportées collectivement. Huit membres du parti ont contribué à cette tâche »… Elles nous apprennent qu’en Belgique le parti compte « entre quelques dizaines de personnes et quelques centaines de personnes », dont les quatre combats principaux sont « de rendre ses lettres de noblesse à la démocratie pour redonner aux citoyens l’envie et les moyens de participer ; de remettre au centre du débat numérique les questions essentielles de partage du savoir et de la culture, de la protection de la vie privée, de la neutralité du Net ; de remettre au centre du débat les biens communs (par rapport aux biens privatisés) ; et enfin d’encourager l’empowerment, c’est-à-dire le renforcement du pouvoir d’action des individus et des groupes favorisant l’émergence d’alternatives dans l’intérêt commun et des initiatives citoyennes porteuses de plus-value pour notre société. Une logique émancipatrice globale dans laquelle s’inscrit aussi la création d’un revenu de base universel. » Un corpus animé par « la recherche d’authenticité, de transparence et d’échange pour construire des alternatives et proposer de nouvelles manières de prendre des décisions collectivement, plus adaptées à nos vies et réellement démocratiques ».
Tellement démocratique que les Pirates belges n’ont ni président ni chef et que personne ne donne d’ordre à personne. Seule une « amirauté » coordonne le parti et « une assemblée valide au nom du parti les propositions faites par ses membres. L’essentiel du travail est réalisé de manière autonome par les crews, les instances locales, ou dans les groupes de travail en toute transparence. De plus, pour lancer une initiative, prévaut “la règle des trois pirates”, c’est-à-dire qu’il suffit que trois membres soient d’accord pour qu’ils passent à l’action. » Toujours est-il que pour démontrer l’efficacité de cette sympathique piraterie moderne, il va encore falloir souquer ferme !