Le fait religieux vivrait-il une nouvelle jeunesse? Ces dernières années, et particulièrement en 2016, le débat sur les religions et la laïcité a refait surface avec plus de vigueur. Un regain d’intérêt pour un certain « catholicisme culturel » apparaît, parallèlement au difficile positionnement d’un « islam de Belgique ». Défrichage du sujet avec Caroline Sägesser, co-auteure du rapport ORELA.
Quel est l’état des religions et de la laïcité en Belgique ? Le dernier rapport ORELA (1) apporte son lot de réponses et un constat interpellant : la question du religieux revient en force dans le débat public ces dernières années. Sur fond d’actualité marquée par les attentats à Bruxelles, le 22 mars 2016, ces drames semblent avoir réveillé les consciences. Sans pour autant sombrer dans le repli identitaire cher à certains extrémismes, on assiste à un retour à des filiations culturelles ou religieuses plus marquées. Notamment pour ce qui est de la religion catholique. Pourtant, la désaffection des lieux de culte poursuit sa progression, tout comme la crise des vocations pour les prêtres. De moins en moins de catholiques se disent pratiquants. C’est donc une autre forme d’intérêt pour le catholicisme qui apparaît, plus ponctuelle, plus culturelle. Les pèlerinages rassemblent davantage de marcheurs, tandis que les abbayes sont chaque fois plus nombreuses à ouvrir leurs portes aux visiteurs. « Le catholicisme représente un héritage culturel pour une majorité de Belges », explique Caroline Sägesser, chercheuse à l’Observatoire des religions et de la laïcité de l’ULB et auteure du rapport. « En tant que religion historiquement dominante en Belgique, on a un rapport au catholicisme plus ou moins distendu, que l’on soit croyant ou non. Mais se définir comme catholique aujourd’hui comporte aussi une dimension culturelle qui est renforcée par la présence marquée de la religion musulmane. » Parallèlement, on note aussi qu’un nombre croissant de citoyens se réfère à la laïcité. Une contradiction ? Pas vraiment : « La démarche est la même, résume Caroline Sägesser, selon les sensibilités, il y aura un retour à la religion catholique pour les uns ou à la laïcité pour les autres, qui ne veulent plus entendre parler de religion dans l’espace public. »
L’année 2016 a été marquée par l’omniprésence de la question du religieux dans l’espace public.
Vers un « islam des Lumières » ?
Il est vrai que l’année 2016 a été marquée par l’omniprésence de la question du religieux dans l’espace public. Après les attentats du 22 mars, les représentants des différentes organisations religieuses ont pris la parole pour « condamner la violence et appeler à la cohabitation harmonieuse des citoyens de différentes religions et convictions » (2) Nous sommes cependant confrontés à la représentativité de ces responsables, qui se retrouvent du jour au lendemain porte-parole d’une communauté, avec laquelle ils partagent une conviction religieuse.
Du côté des pouvoirs publics, on évoque l’espoir d’un islam compatible avec les principes démocratiques, un « islam des lumières », en formant à l’avenir des imams « modérés ». « Mais se pose la difficulté de la formation des professeurs, souligne l’auteure du rapport. C’est d’autant plus difficile que nous sommes dans une société basée sur le principe de la séparation entre Églises et État. On n’a pas de pouvoir coercitif pour imposer des imams formés en Belgique. Mais en soi, et même si elle n’est pas aussi rapide qu’on le souhaiterait, l’évolution vers cet islam “apaisé” a lieu. »
État laïque ou neutralité
de l’État ?
Face à ce constat d’une nouvelle prépondérance de la question religieuse, le débat autour de la laïcité de l’État est à nouveau, lui aussi, à l’ordre du jour. Pour certains, l’inscription de la laïcité dans la Constitution serait une réponse à l’affirmation identitaire et religieuse. Et, indirectement, la solution à une série de problématiques récurrentes et médiatisées comme le port de signes convictionnels au travail ou à l’école. D’autres préfèrent parler de neutralité de l’État. « Il n’y a pas de différence marquée entre laïcité et neutralité, précise Caroline Sägesser. La laïcité implique une mise à distance des pouvoirs publics, tandis qu’un État neutre met sur pied d’égalité toutes les confessions, y compris celles qui sont minoritaires. Mais le concept d’État laïque a perdu cette notion de patrimoine commun et suppose, pour la plupart des gens, un État sans religion, ce qui n’est pas le cas. Il faudrait se référer à la laïcité telle qu’elle est traduite au Nord du pays, qui lui préfère la notion de libre examen. »
Quid de la reconnaissance
du bouddhisme ?
Le cas du bouddhisme en Belgique est interpellant : importé par les Asiatiques, il connaît un certain succès auprès de plus en plus d’Occidentaux qui y puisent une véritable philosophie de vie. Mais il n’est toujours pas reconnu par les pouvoirs publics. Pourtant, l’Union bouddhique belge a bénéficié d’une subvention en 2008, une première étape dans cette reconnaissance. Mais depuis, plus rien. Les raisons de ce retard restent confuses : « Il est possible que les pouvoirs publics redoutent un “appel d’air” de la part d’autres groupes, comme les Églises chrétiennes orientales ou les Alévis qui ont également déposé une demande de reconnaissance, avance Caroline Sägesser. Dans la société pluraliste contemporaine, il devient difficile de gérer un système de reconnaissance et de financement public de certaines communautés convictionnelles, particulièrement en l’absence d’une législation organique qui déterminerait des critères de reconnaissance. Maintes fois évoquée, une telle législation ne semble cependant pas en passe d’être adoptée. » (3)
Une hésitation étonnante alors que, dans le même temps, le fait religieux est omniprésent dans le débat public, ce qui amène Caroline Sägesser à s’interroger sur l’avenir : « Je suis frappée de voir comme on réduit actuellement les gens à leur identité religieuse. Ce n’est peut-être pas la meilleure façon de tisser des liens et d’ouvrir le dialogue. Il y a d’autres sujets sur lesquels améliorer le “vivre ensemble” et l’émancipation des gens. »
Pourtant, le fait religieux pèse aussi de plus en plus dans la sphère du politique, qui fait largement appel aux organisations convictionnelles pour travailler à la paix et à la cohésion sociale. Un paradoxe dans un pays qui envisage d’inscrire la laïcité dans sa Constitution.
(1) Caroline Sägesser, Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen-Diagre, Les religions et la laïcité en Belgique, rapport 2016, Observatoire des religions et de la laïcité de l’Université libre de Bruxelles, juin 2017, 81 pages.
(2) Idem, p. 76.
(3) Ibidem, p. 58.