Les exactions commises sur la minorité yézidie font partie des pires tragédies perpétrées par l’État islamique lors de l’occupation de Sinjar, en Irak. Les femmes, plus particulièrement, ont subi les pires sévices et une partie de la population s’est réfugiée au cœur des montagnes pour survivre. Reportage au cœur des camps d’exilés, avec les « combattantes de la liberté ».
L’occupation de la ville irakienne de Sinjar par Daesh aura duré jusqu’en novembre 2015, soit un peu moins d’un an. Pourtant, sa présence hante toujours les rues, particulièrement autour du vieil hôpital général, au beau milieu d’une ville réduite en ruine par la guerre. C’est ici que, pendant l’occupation, une femme avait été chargée de rédiger un rapport détaillé sur les jeunes filles yézidies kidnappées par Daesh, afin d’être vendues comme esclaves sexuelles dans les villes occupées. À l’intérieur, sur les murs de l’hôpital, on trouve encore les empreintes de celles et ceux qui essayaient probablement de fuir, témoignage indélébile de ce sombre épisode.
Les femmes du Kurdistan et du Sinjar jouent un rôle majeur dans la reconstruction de leur société selon une structure différente.
Les femmes sont de facto celles qui ont le plus souffert de l’invasion de la région par Daesh. Les récits douloureux de celles qui ont réussi à s’échapper et de ceux dont les proches sont toujours aux mains du groupuscule islamiste font partie des récits les plus difficiles que l’on affronte au quotidien dans cette région où vivent 35 000 personnes, dans des tentes plantées dans les montagnes de Sinjar. Une jeune femme sort d’ailleurs de son abri de fortune et nous apostrophe pour une brève discussion : « S’il est vrai que le monde nous a oubliées, nous, les femmes, avons au moins le courage de nous organiser pour nous défendre pendant cette atroce période. Nous avons créé une milice composée uniquement de femmes yézidies, les Unités des femmes Êzîdxan (aussi nommées YJE selon l’acronyme kurde). Cela nous a fait prendre conscience de notre propre force. Nous avons eu le mérite de combattre le monstre Daesh en défendant nos territoires et en sauvant de nombreuses vies de nouvelles attaques », explique-t-elle.
En effet, on trouve aujourd’hui dans la région du Sinjar – outre la présence massive de Peshmergas liés au gouvernement régional du Kurdistan irakien qui revendique la juridiction du territoire – une forte présence de YJE qui faisaient partie des Unités de résistance du Sinjar (YBŞ), une milice yézidie auto-organisée, formée en 2007 pour protéger la communauté des attaques djihadistes. Ces unités étant réunies sous la bannière du Groupe des communautés du Kurdistan (KCK), une organisation qui rassemble tous les groupes inspirés par l’idéologie du dirigeant du PKK, Abdullah Öcalan.
Une lutte par et pour les femmes
Non loin de là, un champ de coquelicots s’étend dans le vert de la plaine. À l’arrière-plan, une chaîne de montagnes se découpe sur un ciel bleu. Sans Daesh, encore présent dans un petit village du Sud, à quelques kilomètres de là, ce serait un matin paisible qui invite à la détente et à la contemplation. Pourtant, cette apparente sérénité est troublée par des ponts détruits, des carcasses de voitures explosées et des murs de ciment improvisés, qui nous rappellent que nous sommes sur la ligne de front. Dans ce paysage désolé, nous atteignons le camp des YJE où une commandante nous accueille chaleureusement et nous invite à l’intérieur pour prendre le thé, avec d’autres combattantes. Cette femme, que nous appellerons Êzîdxan, entre dans le vif du sujet : « YJE combat non seulement Daesh et ses potentielles attaques, mais nous luttons également pour une société auto-organisée où les femmes jouent un rôle important. » Jyan1, l’une des plus jeunes combattantes, est assise près de la commandante et ajoute : « Nous voulons nous battre pour une communauté autodéterminée dans le cadre de municipalités autonomes qui régissent le quotidien, tiennent des assemblées et donnent la priorité aux droits de l’homme et à l’autodétermination des femmes. » Le but : que les zones libérées puissent s’auto-organiser au niveau local et permettre aux femmes de décider elles-mêmes de la société qu’elles veulent reconstruire.
La majorité des gens qui vivent dans ces campements montagnards sont très reconnaissants envers ces groupes de combattantes. Ces femmes constituent un exemple de résistance d’un nouveau type. Asia, l’une des femmes assises dans le cercle, souligne également l’importance de la révolution de Rojava, survenue dans le Nord de la Syrie. Elle serait parvenue à éliminer la présence djihadiste dans plus de 95 % du territoire, laissant place à un laboratoire social qui tourne le dos au vieux gouvernement baasiste dans la région.
L’autodétermination comme moteur
Après avoir écouté cette discussion animée, la commandante ajoute soudain : « Sans liberté réelle et conscience du rôle des femmes au sein d’une société, on ne peut prétendre être libre. Daesh représente pour nous la version extrême d’un code de soumission des femmes, déterminé uniquement par des hommes. » Après une gorgée de thé, elle ajoute avec détermination : « Toutes ces femmes qu’ils ont assassinées ou vendues comme esclaves dans une violence inouïe, ce sont elles qui prennent aujourd’hui les armes avec fierté pour les combattre, toutes ensemble ! » Elle conclut ensuite : « Je voudrais dire à toutes les femmes du monde et à leurs organisations de continuer à se battre pour rompre les chaînes de l’esclavage. Les femmes du Kurdistan et du Sinjar jouent un rôle majeur dans la reconstruction de leur société selon une structure différente. » Après avoir écouté sa camarade avec la plus grande attention, Jiyan prend la parole : « Nous avons montré au monde que lorsque les femmes se rassemblent, personne ne peut détruire leur soif de liberté ! Alors, unissez-vous et continuez le combat pour la liberté des femmes dans un monde libre. Ces milices n’ont pas été créées pour que nous nous sentions plus fortes, les femmes sont déjà fortes ! »
Le silence irréel des tranchées est brisé par les bruits de la radio qui annonce du mouvement dans un village proche, indiquant que Daesh pourrait tirer des mortiers d’un instant à l’autre.
Il est temps de partir, la situation risque de devenir dangereuse. Nous emportons avec nous les récits de ces combattantes de la liberté qui donnent au monde un espoir concret : celui de voir naître une société différente, même en zone de guerre.