« Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler »: le titre de cette pièce, récupéré d’une pancarte de manifestation féministe, fait écho à l’histoire de la lutte des femmes pour leur émancipation et pour l’égalité des genres. Tonitruant.
En septembre dernier, Publifer, la régie publicitaire qui gère l’affichage dans les gares de la SNCB, interdisait une affiche : elle ne montrait pas une Femen en pleine action, comme l’a affirmé la RTBF, mais la comédienne Mathilde Rault dans la peau d’une Femen. Les seins nus et peinturlurés, coiffée d’une couronne de fleurs et armée d’une tronçonneuse. Cette affiche, c’est celle choisie par Laïcité Brabant wallon pour la pièce Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler au programme du cycle spécial « droit des femmes » de ses rendez-vous Escales Philo. Selon Publifer, « le caractère un peu “Femen” de l’affiche », entendez les seins nus (1), associé à « des éléments qui font référence à certains films d’horreur » auraient pu « heurter la sensibilité de certains voyageurs » (2). Pas d’affichage pour annoncer la représentation du 15 octobre donc, mais une polémique qui a fait écho dans la presse.
Un coup de pub bien mérité, pas seulement pour la « tenue de combat » critiquée mais pour les combats féministes que « les petites filles de sorcières » incarnent sur scène. Celui des Femen contre les dictateurs et les prédicateurs religieux à leurs débuts en Ukraine, mais aussi celui des Suffragettes pour le droit de vote en Angleterre en 1913, celui des féministes françaises pour la réappropriation de leur corps et droit à l’avortement en 1971 et celui de la jeune Malala au Pakistan, pour le droit à l’éducation en 2012.
Fragments d’histoire sur scène
Cette sélection est l’œuvre de Christine Delmotte à qui l’on doit l’écriture, la scénographie et la mise en scène de cette pièce, fruit d’un long travail de documentation. « Cela m’a pris du temps, raconte-t-elle. Je ne savais pas par où commencer, mais avec les Suffragettes, je me suis dit que je tenais un bon début. J’ai travaillé sur des événements que j’ai finalement abandonnés comme l’acte résistant de Rosa Parks ou le combat politique de Christiane Taubira. »
Après une phase d’écriture relativement longue, Christine Delmotte signe une mise en scène très rythmée et colorée, à la croisée du théâtre documentaire, du théâtre d’objets et de la comédie musicale, le tout ponctué et enrichi par une bande-son et des vidéos qui renforcent le propos. « J’ai regardé ces images d’archives pour pouvoir écrire et je me suis dit que pour comprendre et pour ressentir la juste émotion, le spectateur avait, tout comme moi, le droit de les voir », explique-t-elle. La pièce oscille également entre histoire et fiction, jusqu’à l’anticipation, puisque le dernier volet nous projette en 2067, avec une proposition pour le moins originale de nouvelle forme de famille composée autour de l’enfant : le « mariage parental ».
Un combat à poursuivre
Dans son travail et dans le milieu encore très masculin des metteurs en scène, Christine Delmotte aime mettre les auteures féminines en valeur. « Je fais aussi en sorte que les rôles de femmes soient féministes dans mes spectacles. Le questionnement sur les genres est selon moi extrêmement important à l’heure actuelle. Légalement, hommes et femmes sont égaux en Belgique. Mais beaucoup de choses doivent encore évoluer. Ce que l’on peut voir aujourd’hui, qui est nouveau et qu’il faut combattre, ce sont les tentatives de retour en arrière, de revenir sur des acquis gagnés de haute lutte », expliquait-elle à l’époque des premières représentations en octobre 2016. Depuis, le casting exclusivement féminin a été revu et l’on espère que la pièce n’aura rien perdu de sa force. De sa nécessité, certainement pas.
Pour les élèves endimanchés venus le même soir que nous au Théâtre des Martyrs avec leur professeure du collège Saint-Benoît de Maredsous en décembre dernier, ce fut indéniablement une sacrée leçon d’histoire du féminisme !
(1) Qu’on nous montre par ailleurs sans que personne ne sourcille pour nous vendre tout et n’importe quoi.
(2) Les voyageuses étant beaucoup plus ouvertes d’esprit, cela s’entend.