Depuis 40 ans, l’hôpital Érasme est pionnier en matière d’évolutions médicales pour la santé des femmes. Évocation avec trois acteurs majeurs.
Deux femmes, un homme : Anne Delbaere, Michèle Warnimont, Yvon Englert. Trois mousquetaires de l’émancipation des femmes en milieu hospitalier et, avec eux, des équipes et des projets qui ont fait bouger les lignes du droit des femmes à disposer de leur corps. Yvon Englert, recteur de l’ULB, formé par Willy Peers et Pierre Olivier Hubinont – deux grandes figures de la dépénalisation partielle de l’avortement –, a fondé à la fin des années 1980 le Centre de procréation médicalement assistée de l’ULB et le Laboratoire de recherches en reproduction humaine. Anne Delbaere dirige la Clinique de la fertilité de l’hôpital Érasme. Michèle Warnimont, sage-femme, est responsable du « Cocon », premier gîte de naissance intrahospitalier en Belgique. Chacun – dans son domaine et avec sa vision – évoque les révolutions médicales qui ont fait bouger les lignes en matière de santé pour les femmes.
Contrôler sa sexualité
« J’ai fait mon stage de gynécologie chez Willy Peers à Namur. J’étais encore étudiant en médecine et à une époque où l’avortement restait une infraction pénale », se souvient Yvon Englert. « Willy Peers n’était pas un militant de l’interruption volontaire de grossesse, il était un militant de la santé des femmes et de leur autonomie de décision. Il était pionnier en matière de planning et de contraception, il donnait des cours de préparation à l’accouchement sans douleur à une époque où ce n’était pas du tout dans la tradition ! Il a profondément marqué ma carrière », explique le recteur de l’ULB.
Aujourd’hui comme hier, l’hôpital est en première ligne dans la formation médicale à l’IVG.
Le nombre de médecins pratiquant des IVG ne cesse de diminuer alors que la contestation du droit des femmes à disposer de leur corps s’exprime, elle, de manière décomplexée. Aujourd’hui comme hier, l’hôpital est en première ligne dans la formation médicale à l’IVG. « Nous sommes la seule université à avoir dans son curriculum une formation à l’interruption de grossesse y compris pour les médecins généralistes. Nous avons incité d’autres universités à faire de même de façon à ne pas devoir former tous les prestataires », explique Yvon Englert. « Ce n’est certes pas suffisant pour répondre au problème du manque de médecins, mais nous restons, à l’ULB, militants dans ce domaine. »
Désirer un enfant
Le débat qui agite aujourd’hui la France autour de l’ouverture de la procréation médicalement assistée a eu lieu en Belgique… dans les années 1980.
Avoir un enfant. Au-delà d’un problème de fertilité. Au-delà aussi de son orientation sexuelle. Le débat qui agite aujourd’hui la France autour de l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et les couples de lesbiennes a eu lieu en Belgique… dans les années 1980. D’abord au sein du monde hospitalier. « Je me souviens très bien du premier couple de femmes qui est venu à ma consultation », raconte Yvon Englert. Je leur ai dit : « Mais non, ici on fait appel au don de sperme pour les cas d’infertilité masculine. » Elles m’ont dit : « Pourquoi ? Est-ce qu’on peut en discuter ? » Et je leur ai répondu : « Oui. » Et elles ont eu un enfant. « C’était en 1982, je m’en souviens très bien. L’argument était de dire : l’insémination artificielle, ce n’est pas un traitement. C’est une manière alternative de fonder une famille. Quand un homme est stérile – ce qui était à l’époque l’indicateur de recours à la banque de sperme –, il n’est pas traité par l’insémination, mais remplacé par le sperme d’un autre homme. De plus, pourquoi est-ce que deux femmes ne pourraient pas élever un enfant ? Et c’est comme ça que nous avons commencé à Érasme même si cela ne faisait pas l’unanimité même au sein de l’ULB », se souvient Yvon Englert.
Le Laboratoire de recherche en reproduction humaine de l’hôpital a été précurseur dans l’aide à la procréation chez les patientes porteuses du VIH. « À l’époque, ça aussi, c’était contraire à la morale… Même à l’intérieur du service il y a eu des réticences. Les équipes avaient peur, car, en fertilité, on n’avait pas l’habitude de travailler avec des patients infectés par le VIH. Ce fut une expérience passionnante. Comment les liens humains permettent de surmonter les craintes ! Après, l’équipe n’aurait abandonné ce projet pour rien au monde », évoque Yvon Englert.
Les équipes du laboratoire ont été parmi les premières à travailler sur la préservation de la fertilité chez les patientes cancéreuses à travers les techniques de cryopréservation de tissu ovarien et leur transplantation. Une expertise qui bénéficie à toutes les femmes. En effet, le défi d’aujourd’hui en matière d’infertilité est celui de l’augmentation de l’âge de la première grossesse. « La biologie n’a pas évolué dans ce domaine. Bien que notre espérance de vie augmente, notre vie reproductive, elle, ne cesse, paradoxalement, de se restreindre. Face à cette problématique, nous avons mené une réflexion sur la préservation de la fertilité pour convenance. Cela consiste à préserver des ovocytes pour les femmes qui le demandent et qui ne sont pas encore en couple. Attention, cette technique ne donne pas de certitudes quant à l’avenir d’une grossesse, mais elle élargit un peu la vie reproductive des femmes », explique Anne Delbaere. Ces avancées modifient aussi la manière d’envisager le planning familial : non seulement en termes de contraception, mais également de bilan de fertilité. Ce type de services pionniers existe déjà au Danemark. Un domaine qui reste du champ de la recherche – ces tests doivent encore être améliorés – et qui intéresse particulièrement Anne Delbaere.
Donner naissance
« Nous sommes dans une société en mouvement », explique Michèle Warnimont, responsable du Cocon et sage-femme. « Les gens se posent beaucoup de questions : comment je vis, comment je consomme et… comment je mets mon enfant au monde. Le Cocon répond à une demande des femmes de choisir la manière dont elles donnent la vie. Il replace l’accouchement dans une dimension symbolique et pas uniquement médicale », poursuit la responsable.
Le Cocon est un programme de suivi prénatal doté d’un espace d’accouchement naturel géré uniquement par des sages-femmes, intégré à l’hôpital Érasme dans un espace séparé mais connecté à la salle de naissance en cas d’urgence. Une maison de naissance intégrée à l’institution. Une première en Belgique.
« C’est un projet tout à fait passionnant », explique Yvon Englert. « C’est un projet d’empowerment très fort de la patiente qui répond à une demande de personnalisation de la prise en charge médicale. La littérature obstétricale – et nos recherches au Cocon l’ont confirmé – montre qu’en sortant les grossesses qui ne présentent pas de risque des protocoles médicaux traditionnels, on diminue, entre autres, le taux de césariennes », explique le professeur Englert.
En faisant moins de médecine, on fait de la meilleure médecine.
Bref, en faisant moins de médecine, on fait de la meilleure médecine. Un projet révolutionnaire dans un centre universitaire centré sur les pathologies lourdes et la technologie de pointe. « On a trop confondu grossesse et maladie, explique Michèle Warnimont. « Il fallait mettre les moyens nécessaires pour sauver les mères et les enfants, mais on se rend compte aujourd’hui que ce n’est pas nécessaire pour tout le monde. Les gynécologues sont formés à la pathologie alors que les sages-femmes sont d’abord formées à garder les femmes en bonne santé. Le Cocon est l’aboutissement d’une réflexion de plus de 20 ans entre les gynécologues et les sages-femmes au sein du département. Il y a d’ailleurs un effet “Cocon” également dans la salle d’accouchement de l’hôpital. Notre travail a permis une prise en charge plus douce et un accueil du bébé pour les femmes qui ont besoin d’une césarienne, c’est ce qu’on appelle la “gentle césarienne”, ainsi que la mise en place d’une clinique du siège pour les femmes qui souhaitent accoucher par voie basse. La continuité avec la salle d’accouchement et la maternité permet au Cocon d’exister, les relais entre nous sont excellents », conclut Michèle Warnimont.
Bref, le meilleur des deux mondes et un concept innovant de soins où patientes et soignant.e.s sont partenaires. Au-delà des problèmes de formation des médecins, de la politique des soins de santé actuelle et des questions de gestion hospitalière. Mais c’est un autre débat. Ou peut-être pas.