Comment se sont déroulés les premiers cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) en secondaire? Immersion dans une classe du lycée Émile Jacqmain. Parole aux élèves.
Mi-septembre 2017. Quatorze heures. Je pénètre dans le lycée et me plonge rapidement dans la peau d’une élève. La directrice de l’école, l’échevine de l’Instruction de la Ville de Bruxelles, l’inspecteur général, une représentante de la FAPEO (Fédération des associations des parents de l’enseignement officiel) et moi-même nous mêlons à la vingtaine d’élèves de 4e secondaire qui assistent à leur premier cours de CPC 1, l’heure commune et obligatoire.
À la barre, Fabien Nobilio, détendu et heureux de se lancer dans cette nouvelle aventure. Il faut dire qu’il n’est pas novice en la matière, cela fait des années qu’il est responsable des activités philosophiques pour la Ville. « Aujourd’hui, l’objet du cours, ce sera une prise de contact, ça vous avez déjà dû l’entendre dans d’autres cours, non ? ». Qu’est-ce qui diffère alors ? « C’est un cours général », explique l’enseignant, « mais avec une marge de manœuvre qui va nous permettre de nous demander : qu’a-t-on envie de construire ensemble ? » L’intérêt des élèves monte d’un cran.
Il propose alors l’exercice suivant à partir d’un tableau divisé en quatre zones : (1) « Qu’est-ce que je voudrais savoir sur le CPC ? » ; (2) « De quoi ai-je besoin pour me sentir bien en CPC ? » ; (3) « Qu’est-ce que j’ai envie de faire en CPC ? » ; (4) « Qu’est-ce que je redoute ? » Chaque élève (nous compris) dispose de deux post-its à apposer au tableau noir. Très vite, le tableau se couvre de carrés jaunes.
Le CPC à l’épreuve de la liberté de parole des ados
Les élèves se posent beaucoup de questions sur ce nouveau cours : « Pourquoi en a-t-on besoin ? » « Est-ce qu’on va avoir des examens ? » Je réalise à quel point ils sont peu informés.
Un élève lève le doigt et dit : « Moi je sais pourquoi on a le droit de choisir, c’est parce qu’on est dans une école libre. » L’échevine de l’Instruction publique manque d’avaler de travers et rectifie en rappelant l’histoire de l’instauration du cours et de la dispense. Un élève affirme ensuite qu’« on ne peut pas obliger quelqu’un à renoncer à son choix philosophique ». Et Fabien Nobilio de préciser que la Cour constitutionnelle a plutôt rappelé que la liberté religieuse devait permettre à chacun de ne pas être obligé de choisir une option philosophique, usant à chacune de ses interventions de cette précaution pédagogique consistant à souligner l’intérêt de la prise de parole.
Suit une discussion sur ce que veulent dire les notions de philosophie et de citoyenneté. « C’est devenir de meilleurs citoyens », « C’est respecter les opinions des autres », « C’est un peu comme la démarche scientifique ». « C’est une peu tout ça », synthétise le professeur, « Mais attention, ce n’est pas un cours de civisme ! » Et d’expliquer qu’il s’agira d’appliquer la méthode philosophique à des thématiques citoyennes, à l’actualité, à des questions vives. En philo, on préfère les questions où les réponses sont difficiles…
Le thème des « besoins » permet de traiter la question de la relation de confiance. Cette question des besoins rejoint celle des craintes. Car ce que redoutent ces adolescents, c’est surtout de ne pas être écoutés, entendus, respectés dans leurs opinions et convictions. Ils sont, pour certains, échaudés par l’expérience de l’EPA (encadrement pédagogique alternatif) proposé en guise de dispense pendant deux ans. « On a peur du manque de structure et du peu d’écoute ! » Oui, mais là, ils ont de quoi être rassurés car ils ont un sacré capitaine. Fabien Nobilio est clair : « Ici, c’est moi qui garantirai que le cadre soit respectueux de la parole de chacun. On pourra critiquer toutes les idées, mais pas s’attaquer aux personnes ! »
Une heure, ce ne sera jamais assez !
Les élèves sont motivés. Ils veulent des débats, des sorties, parler d’actualité, apprendre les choses différemment que dans les autres cours… Et puis, on leur a promis que les modes d’évaluation feraient aussi l’objet de débats en classe. Que demander de plus ?
Cinquante minutes, ça passe vite. Le cours touche déjà à sa fin et Monsieur Nobilio a préparé sa sortie : « Cela fait 15 ans que j’ai terminé la philosophie et c’est la première fois que je donne cours de philosophie… Je pense que ce sera le mot de la fin. » « Mais, une heure, ça ne sera jamais assez ! » réclame une jeune fille. « Mais, on peut encore changer ? », interroge un autre élève. « Je ne savais pas ce que c’était le CPC… parce que moi je ne crois plus en Dieu ! »