Espace de libertés – Octobre 2017

Repolitiser les citoyens sans parti


Dossier

Né en 2014, Tout Autre Chose a décidé dès le départ de ne pas entrer dans les cases rassurantes de la typologie politique et associative traditionnelle, en cherchant de nouvelles formes d’action. Aujourd’hui, le mouvement veut faire de la politique autrement, mais sans devenir un parti, ni participer aux élections.


À ses débuts, le mouvement citoyen n’avait ni programme ni plan de bataille préconçu, si ce n’est un grand combat : la dénonciation des politiques d’austérité. Il a fallu attendre la formation du gouvernement fédéral pour que la réaction s’organise et que naisse en décembre 2014 Tout Autre Chose. À l’époque, il est alors apparu pour beaucoup de citoyens et d’associations comme un antidote à la résignation qui plombe généralement la résistance face aux politiques d’austérité. En trois ans, constitué autour de 200 associations, Tout Autre Chose s’est structuré pour mieux se définir en avançant. Il s’est doté de dix sections locales à Bruxelles et en Wallonie et de dix sections thématiques (enseignement, SNCB…) dans lesquelles dix personnes se réunissent pour penser un avenir différent et sortir du cadre de la pensée néolibérale.

Le mouvement se revendique d’une large diversité sociale, même s’il peine, comme d’autres, à toucher les catégories les plus populaires et les populations immigrées. Mais qu’à cela ne tienne, Tout Autre Chose n’a qu’un seul objectif au fond, celui de repolitiser les citoyens. « Nos militants sont plutôt des citoyens qui n’étaient pas engagés par le passé, mais qui ont décidé de franchir le pas, en ne le faisant pas dans d’autres structures. Au sein de Tout Autre Chose, nous voulons mettre en lien et puis populariser des alternatives. C’est une manière de réenchanter la politique», explique Olivier Malay, porte-parole du mouvement citoyen. Si une bonne partie des militants, « pas forcément majoritaire », précise Olivier Malay, est vraiment déçue de la politique, estimant que l’avenir ne se situe plus là, Tout Autre Chose veut néanmoins se réapproprier la politique.

Faire pression sur les politiques

Tout Autre Chose ne veut pas faire de l’étiquette « citoyenne » une recette marketing pour prendre le pouvoir.

« Le pari, c’est de constituer un mouvement social, comme on l’a vu dans d’autres pays. Tout Autre Chose doit être une caisse de résonnance des mouvements sociaux, explique le porte-parole. C’est en s’organisant qu’on arrivera à faire changer les politiques, et pas l’inverse », ajoute-t-il. Mais sans jamais devenir un parti politique, comme cela s’est produit pour d’autres mouvements citoyens, en Espagne, par exemple. C’est exclu. Tout Autre Chose ne veut pas faire de l’étiquette « citoyenne » une recette marketing pour prendre le pouvoir. Le mouvement refuse aussi cette illusion que, pour peser sur la décision, il faut se lancer en politique. « On ne veut pas se présenter aux élections. Il n’y a d’ailleurs aucune discussion sur cette éventualité, reconnaît Olivier Malay. Il y a déjà beaucoup de partis qui existent et ajouter un parti supplémentaire, c’est courir le risque d’être rattrapé, tôt ou tard, par la politique politicienne et ses logiques que nous dénonçons. Souvent, quand un parti arrive au pouvoir, il finit par gouverner pour les 1% les plus fortunés. Plutôt que de créer un nouveau parti, Tout Autre Chose veut conscientiser la population et sorganiser ensemble pour faire pression sur les politiques », assure-t-il. Par rapport aux partis politiques, le mouvement a également peur de se faire récupérer, même si, en son sein, on trouve quelques mili­tants encartés de manière individuelle.

Si Tout Autre Chose est apartisan, il n’est pas apolitique. Le mouvement veut d’ailleurs redonner du sens à notre système représentatif, « en le moralisant et en interdisant le cumul des mandats, en réduisant le salaire des élus pour éviter cette déconnexion avec le citoyen… » L’autre objectif du mouvement : arriver à des mécanismes de démocratie participative. « Aller voter tous les quatre ans est insuffisant », admet Olivier Malay. « Il faudrait que des citoyens tirés au sort puissent prendre un certain nombre de décisions. On pourrait aussi améliorer les consultations populaires, en en faisant plus, en leur donnant davantage de pouvoir… On pourrait aussi organiser des budgets participatifs. Ce sont des expériences qui existent à l’étranger. Elles fonctionnent et elles pourraient facilement être répliquées chez nous pour arriver à une situation où les citoyens tiennent vraiment leur destin en main plus qu’à travers un bulletin de vote dans les urnes. »

Ni gauche ni droite

Plus encore, ce mouvement entend dépasser le vieux clivage gauche-droite, « qui peut démotiver les gens à s’investir. Parce que la gauche a eu tendance à mener des politiques de droite.» Le mouvement a préféré ne pas s’identifier à ce clivage, en se présentant comme un mouvement social se battant pour la majorité, «pour les 99% et pas les 1% »… « C’est plutôt par rapport à ce combat qu’on s’identifie. De manière très majoritaire, nos militants sont de gauche, mais il y a aussi des gens qui ne seraient pas venus si on avait pris cette étiquette. » Une autre étiquette de laquelle se méfie Tout Autre Chose est celle d’antisystème, un qualificatif souvent attribué aux mouvements citoyens. « C’est une notion connotée comme étant dans la critique plutôt que dans la proposition. Cela ne correspond pas à notre mouvement qui veut être une force de propositions, en réclamant la réduction du temps de travail ou la gratuité des transports en commun, par exemple », poursuit le porte-parole.

Quant aux lendemains qui chantent, là aussi, Tout Autre Chose se distingue. « On n’a pas voulu dire qu’on était de telle ou telle idéologie. Il est important de constituer un front commun contre les idées dominantes, celles du néolibéralisme. Toutes les bonnes volontés prêtes à s’opposer à l’austérité sont les bienvenues, explique Olivier Malay. Cela peut étonner, mais notre société idéale n’est pas clairement définie. Notre seule certitude, c’est qu’elle passera par plus de coopération entre les citoyens, par plus de services publics, par des politiques qui se feront en faveur de la majorité de la population, et non pour quelques intérêts particuliers… Ce sont des balises qui peuvent convenir à des personnes ayant des idéologies différentes. »