Espace de libertés – Octobre 2017

Momentum, le mouvement devenu parti


Dossier

Né d’une volonté de bousculer la politique autoritariste et corrompue du gouvernement Orbán, le mouvement contestataire citoyen hongrois s’est rapidement transformé en parti. Quelles sont ses revendications et la place qu’il occupe dans la société hongroise? Focus sur ce parti citoyen émergeant.


Le 16 février 2017, dans une cave au cœur de Budapest, des jeunes se préparent à annoncer l’un des faits politiques les plus marquants de ce début d’année 2017. Malgré la fatigue, une douzaine de militants s’efforce de finaliser un travail minutieux dont dépend le succès de leur entreprise : compter les derniers formulaires de signatures de leur pétition, qui arrivent en flux tendu des quatre coins de la ville. Ce fourmillement, c’est le résultat du labeur du mouvement citoyen Momentum, encore totalement inconnu à peine un mois avant d’être projeté au-devant de la scène politique, suite au succès de sa toute première campagne. « Pensez-vous que la Mairie de Budapest devrait retirer sa candidature à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’été de 2024 ? » : c’est la question que Momentum a posée aux Budapestois et pour laquelle le mouvement a lancé la campagne NOlimpia consistant à collecter 138 000 signatures pour forcer la Mairie à organiser un référendum local. Cette question pourrait sembler anodine mais, après tout, des questions similaires ont été posées aux citoyens de Hambourg et Munich concernant 2022 et 2024. Sauf qu’en Hongrie, cette question revêt un caractère politique tout particulier.

Budapest 2024 : symbole du régime Orbán

« Imagine que quelqu’un dont tu as de bonnes raisons de douter de la responsabilité financière et de sa fiabilité en général te prenait, sans t’en demander l’autorisation, ta carte de crédit pour aller faire la tournée des grands-ducs dans le centre commercial voisin où tous les commerçants sont ses amis et associés. Et que la liste de courses ou l’enveloppe maximale ne te sont pas communiquées.» Ces mots, tirés de la page « nos arguments » du site web de la campagne de Momentum, résument parfaitement la situation en Hongrie. Soit celle d’un gouvernement qui multiplie les marchés publics dans des secteurs contrôlés par des entrepreneurs proches du parti et qui, depuis le retour d’Orbán, n’ont cessé de s’enrichir et d’étendre leurs empires commerciaux. Symbole de cette « réussite » : Lőrinc Mészáros, ancien dépanneur de chaudières à gaz du village d’Orbán, devenu maire et magnat du BTP, des médias, du vin, des secteurs bancaire, viticole et agricole, du tourisme et de la propriété terrienne et qui a vu son patrimoine s’élever au rang de cinquième fortune du pays en moins de 7 ans. Cet exemple est loin d’être isolé.

En effet, les cas se répètent et se ressemblent : l’État publie un appel d’offres, l’attribue à un oligarque proche du parti qui effectue le travail et rend une facture bien plus élevée que le prix de départ. Tout scandale de corruption ou de collusion est étouffé dans l’œuf par le procureur général, fidèle parmi les fidèles, dont les nouveaux pouvoirs permettent de régner en maître sur le secteur judiciaire. Si nécessaire, une loi de classement de l’information permet de tenir secrètes les données principales de l’opération. Le travail est terminé par les organes de propagande (publics et privés) qui se chargent d’accuser les lanceurs d’alerte d’être des agents de Bruxelles ou d’autres forces étrangères.

Une victoire en partie volée

Momentum ne le sait que trop bien : le projet de Jeux olympiques est à la fois politique et commercial. D’une part, il permet au gouvernement de trouver une nouvelle occasion d’ouvrir les vannes des finances publiques et de canaliser des sommes astronomiques vers cette nouvelle couche de fidèles, dont les empires commerciaux paraissent servir à masquer l’enrichissement personnel des membres mêmes du gouvernement. D’autre part, un tel projet permet au gouvernement de piéger les partis d’opposition qui auront le choix entre apparaître comme les saboteurs d’un projet national – à qui surcoûts, retards et échecs pourront être facilement imputés – ou se taire et perdre toute chance d’exister politiquement sur le moyen terme.

Fin 2016, Momentum décide donc de tenter une mobilisation de masse en utilisant l’un des derniers recours démocratiques à disposition du citoyen hongrois : forcer le gouvernement à organiser un référendum sur la question. Pour ce faire, il faut rédiger une question dont la constitutionnalité est évaluée par la Commission électorale nationale et recueillir un certain nombre de signatures dans un temps imparti. On notera la différence entre cette campagne et les référendums en Allemagne où c’est le pouvoir même qui lance le référendum, parce qu’il détecte une fracture dans l’opinion publique. Le 17 février, le résultat tombe : Momentum a recueilli 266 151 signatures, soit presque le double de la quantité nécessaire. Quelques jours plus tard, sans attendre l’annonce officielle des résultats par les autorités compétentes, le gouvernement fait marche arrière et annonce – à travers la voix du maire de Budapest – que la Ville a décidé de retirer sa candidature.

Victoire ? Certainement. Cependant, beaucoup auraient préféré que le gouvernement ait le courage d’organiser ce référendum et permette à un grand absent de la vie publique hongroise de faire son éventuel retour : le débat citoyen, mis à mal par une décennie de luttes meurtrières entre les forces politiques du pays ainsi que les nombreuses mesures liberticides mises en place par Orbán.

© Olivier Wiame

Une bonne stratégie ?

Peu après le succès éclatant de sa cam­pagne, Momentum a finalement annoncé que le mouvement se transfor­merait en parti politique et se présenterait aux élections législatives d’avril 2018. Le projet est ambitieux et l’enjeu est fondamental dans un paysage politique tel que celui de la Hongrie, avec d’un côté le Fidesz, parti de Viktor Orbán qui met à profit chaque branche de l’appareil d’État et utilise l’argent public afin d’assurer son enracinement. Et de l’autre côté, les partis de « l’opposition démocratique » qui entament leur huitième année de querelles sur les contours d’une coopération qui les a déjà menés à l’échec aux élections de 2014. Enfin, le rôle de premier parti d’opposition est progressivement pris par le Jobbik, parti d’extrême droite à coloration néonazie.

Momentum, qui tente de se profiler au gré d’une nouvelle classe politique émergente, évolue dans ce contexte et fait face, comme la majorité des partis similaires dans d’autres pays, à des attaques de toutes parts. Du côté de la droite, la propagande gouvernementale ne rate pas une occasion de tirer à boulets rouges. À gauche, la situation est plus compliquée : alors que le succès de la campagne NOlimpia avait été accueilli avec un certain enthousiasme par l’intelligentsia et les partis libéraux et de gauche, une progressive méfiance s’est installée, liée à deux points fondamentaux.

Exit l’élite politique usée

Il y a tout d’abord les déclarations, non sans arrogance, de Momentum faisant référence aux « vingt-sept dernières années » (comprenez depuis la fin du communisme) et qui paraissent mettre dans le même sac Orbán et sa dérive autoritaire avec les gouvernements PS et libéraux précédents. Ensuite, il s’agit de la stratégie électorale de Momentum qui écarte toute hypothèse de coopération avec ces partis.

Alors que la nouvelle formation espère siphonner une partie des électeurs de gauche déçus de la paralysie des formations politiques traditionnelles face à Orbán et s’adresser à l’énorme masse des abstentionnistes, les partis de gauche reprochent à Momentum de continuer à diviser l’opposition et donc de favoriser l’obtention d’un troisième mandat par Orbán. Ils mettent en avant le manque d’expérience des dirigeants du parti dont la majorité n’a pas encore 30 ans.

Momentum de rétorquer que contrairement aux partis de gauche qui ne s’intéressent qu’à leur réélection et à la chute d’Orbán, leur parti, lui, essaye de mettre fin à une élite politique usée, minée par le discrédit et les scandales de corruption et ne veut en aucun cas le retour d’une gauche dont les manquements ont permis l’avènement d’Orbán.

Reste que l’électeur républicain anti-Orbán devra décider d’ici moins d’un an entre l’ancienne garde discréditée et le nouveau mouvement dont la jeunesse et l’arrogance inquiètent encore bon nombre d’électeurs. Dernière option : bouder les élections tout en sachant que cette stratégie favorisera les camps les plus mobilisés : ceux du Fidesz et du Jobbik. Rendez-vous en mai prochain pour un bilan de cette séquence hautement périlleuse.